• " 66° 07 N - 17° 21 W "

    "...au-dessus des montagnes, le soleil était bas sur l'horizon et jetait de larges gerbes de lumière rosée sur le fjord et la mer. Ce n'est que lorsque le silence descendit sur eux qu'elle comprit que l'enfant s'était endormi. Un silence bienfaisant qu'elle entendait jusqu'au plus profond d'elle-même. C'était le silence familier qui lui montrait le chemin vers elle-même mieux que bien des pensées, qui soudain l'environnait comme un mur mais qui en même temps l'ouvrait à l'infinité du monde. Le silence qui était dans le ciel bleu et froid, dans le lumineux désert hivernal et dans les hautes montagnes. Le silence qui était une demeure pour son âme et qu'elle sentait être son véritable foyer. Ce silence qui l'avait suivi tout au long de sa vie et qui serait auprès d'elle quand elle mourrait."



    Jorn Riel
    " Le jour avant le lendemain "


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  • "L'échappée Blanche"

    VIII
    De torrente in via bibet (Il boira au torrent sur son chemin),
    Propterea exaltabit caput (puis il relèvera la tête)



    Haëndel
    Dixit Dominus (extrait)


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  • "Pempoull / Faskrudfjordur"

    "La lumière matinale, la lumière vraie, avait fini par venir; comme au temps de Genèse, elle s'était séparée d'avec les ténèbres qui semblaient s'être tassées sur l'horizon, et restaient là en masses très lourdes; en y voyant si clair, on s'apercevait bien à présent qu'on sortait de la nuit - que cette lueur d'avant avait été vague et étrange comme celle des rêves.
    Dans ce ciel très couvert, très épais, il y avait çà et là des déchirures, comme des percées dans un dôme, par où arrivaient de grands rayons couleur d'argent rose.
    Les nuages inférieurs étaient disposés en une bande d'ombre intense, faisant tout le tour des eaux, emplissant les lointains d'indécision et d'obscurité. Ils donnaient l'illusion d'un espace fermé, d'une limite; ils étaient comme des rideaux tirés sur l'infini, comme des voiles tendus pour cacher de trop gigantesques mystères qui eussent troublé l'imagination des hommes. Ce matin-là, autour du petit assemblage de planches qui portait Yann et Sylvestre, le monde changeant de dehors avait pris un aspect de recueillement immense; il s'était arrangé en sanctuaire et les gerbes de rayons, qui entraient par les traînées de cette voûte de temple, s'allongeaient en reflets sur l'eau immobile comme sur un parvis de marbre. Et puis, peu à peu, on vit s'éclairer très loin une autre chimère: une sorte de découpure rosée très haute, qui était un promontoire de la sombre Islande ."



    Pierre Loti
    "Pêcheur d'Islande"


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  • "La Traversée" 

    "Dis-le-moi...dis-le-moi, océan (à moi seul, pour ne pas attrister ceux qui n'ont encore que les illusions), et si le souffle de Satan crée les tempêtes qui soulèvent tes eaux salées jusqu'aux nuages. Il faut que tu me le dises, parce que je me réjouirais de savoir l'enfer si près de l'homme. Je veux que celle-ci soit la dernière strophe de mon invocation. Par conséquent, une seule fois encore, je veux te saluer et te faire mes adieux ! Vieil océan, aux vagues de cristal... Mes yeux se mouillent de larmes abondantes, et je n'ai pas la force de poursuivre; car je sens que le moment venu de revenir parmi les hommes, à l'aspect brutal; mais ...courage ! Faisons un grand effort, et accomplissons, avec le sentiment du devoir, notre destinée sur cette terre. Je te salue, vieil océan !"



    Lautréamont
    "Les chants de maldoror"


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  • "Laki"

    "Il souleva avec précaution le papier protecteur, fin comme une membrane. Le passe-partout portait une inscription au crayon : "Wols, sans titre (eau). "Mais était-ce de l'eau ? Cette masse pétrifiée qui évoquait de la lave, noire, grise, avec un scintillement de taches de lumière, avec des tranchées et des excavations, et plus loin une surface huileuse, presque polie, luisante, avant de redevenir granuleuse ? Tel était le mouvement qui, un jour, quelque part, avait affecté cette eau. Il avait envie d'en parcourir la surface du bout des doigts, mais se retint juste à temps. C'était cela qu'il cherchait. Le monde anonyme, le monde non fabriqué et innommé des phénomènes, qui devrait pouvoir rivaliser avec l'autre monde, celui des noms et des évènements. Je veux conserver les choses que personne ne voit, auxquelles personne ne prête attention, je veux préserver les choses les plus banales de la disparition."



    Cees Nooteboom
    "Le Jour des Morts"


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